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Centrafrique : Que deviendra la Centrafrique dans les jours du confinement pour cause de Covid-19 ?

Centrafrique : Que deviendra la Centrafrique dans les jours du confinement pour cause de Covid-19 ?

Centrafrique : Que deviendra la Centrafrique dans les jours du confinement pour cause de Covid-19 ?

BANGUI, le 07 mars 2020 (RJDH)—La Centrafrique, pays enclavé, pays post-conflit avec des tensions persistantes par endroit, pays avec un taux de connectivité très faible, où l’électricité et l’eau potable sont rares, pays qui importe 70% de ses produits alimentaires des pays voisins, pays où on vit avec moins d’un dollar par jour, devrait s’attendre à une catastrophe humaine si le Covid-19 frappe durablement et impose une mesure de confinement total.  

L’enclavement de la Centrafrique avec un faible flux de la population mondiale est-t-il avantageux en cette période de la pandémie de Covid-19 ? Même si certaines pensées l’affirment, puisque l’unique l’aéroport de Bangui M’Poko accueille moins de 10 vols commerciaux par jours, cet enclavement est malheureusement source de dépendance des produits de première nécessité souvent importés du Cameroun, de la RDC et des pays limitrophes comme les deux Soudan etc.

Déjà, l’économie nationale est basée sur l’importation. Entre 2018 et 2019, le trafic import-export de la Centrafrique au port de Kribi au Cameroun a augmenté de près de 70%. Ce volume est passé de 386 conteneurs en 2018 à 991 conteneurs au cours de l’année 2019, dont 715 conteneurs à l’import. Cette performance est à mettre en lien avec les réductions tarifaires concédées aux opérateurs centrafricains. Nous pouvons citer le rabattement de 30% sur les marchandises, de 25% sur aconage et de 75% sur les pénalités de stationnement.

Aujourd’hui, l’économie même du Cameroun, fort de son ouverture à la mer, profite des exportations et des importations de la Centrafrique enclavée. C’est ce qui a poussé le Cameroun malgré l’annonce de la fermeture de ses frontières à cause du Covid-19 à décider d’alléger les mesures en ce qui concerne le commerce avec la Centrafrique et le Tchad.

Population vivant sous le seuil de pauvreté avec moins d’un dollar par jour, l’annonce des mesures post-confinement a flambé les prix sur le marché. Un sceau à robinet qui sert pour le lavage des mains et qui se vendait à 2000 F FCA coûte aujourd’hui entre 4000 et 5000 FCFA. Le prix d’une boite de sardine est passé de 500 à 750 FCFA. Le gel de lavage des mains qui coutait 500 FCFA se vend à 2000 voire 3000 FCFA.  

Dans la foulée, les prix du transport en commun ont aussi connu une hausse puisque le nombre des passagers est maintenant limité pour les bus à 8 personnes, les taxis à 4 personnes et les taxis motos à juste un client. Ces prix sont passés respectivement de 125 à 200 FCFA, 150 à 250 FCFA aussi de 150 à 250 FCFA.

Officiellement, les prix n’ont pas été augmentés à cause de la rareté des produits sur les marchés mais les commerçants profitent de la psychose pour spéculer. C’est ainsi que le gouvernement à travers le ministre du commerce envisage depuis le 30 mars une mission de contrôle car pour le gouvernement, il n’y a aucune raison pour les commerçants de faire de la spéculation alors que les échanges commerciaux se déroulent sans difficultés entre le pays et le Cameroun principalement.

Par ailleurs, la plupart des centrafricains vivent au jour le jour dans la pauvreté d’où l’expression « Chercher-à-manger ». La capacité des prévisions alimentaires n’a jamais atteint la plus grande majorité de la population. Cette grande majorité ne possède pas de comptes bancaires et même la moitié des fonctionnaires n’a pas d’épargnes pour espérer faire face à cette situation sans pareille. 

Le confinement sans les mesures d’accompagnement pourrait être suicidaire pour cette population meurtrie par la longue crise qui sévit depuis 2012.  En Centrafrique, selon les données du Bureau de la Coordination des Affaires Humanitaires (OCHA), plus de la moitié des Centrafricains (2,6 millions sur les 5 millions) a besoin d’aide humanitaire en 2020 pour vivre. Le pays accueille encore 600 000 déplacés dont 224.000 sur les sites des déplacés et 458.000 en famille d’accueil. Les conditions de vie des déplacés internes et des réfugiés demeuraient difficiles, avec très peu voire pas d’accès à l’aide humanitaire.

Aussi, le système de santé est tenu à 80% par des humanitaires, les hôpitaux restent non conformes au standard international, la télémédecine inexistante, le personnel de la santé n’est pas outillé pour faire face à une vague très importante de malades comme celle que pourrait provoquer le Covid-19 dans ce pays qui dispose de très peu de ressource en matière de protection de sa population. Le pays pour riposter contre le Covid-19 dispose de trois (3) respirateurs et moins de 50 lits.

L’eau et l’électricité, denrées rares

L’accès à l’électricité reste faible, avec 3,7% en 2018 et en constante baisse depuis 1988.  Selon les données officielles, cet accès très limité à l’électricité affecte sérieusement la relance économique dans le pays.  Le taux d’accès dans la capitale est passé de 14,2% en 2006 à 23% en 2016. Au niveau national, le taux d’électrification est passé de 2,4% en 2006 à 3,7% en 2018. Malgré cette évolution, plusieurs ménages ne disposent pas d’électricité et le gouvernement a instauré depuis plusieurs années un délestage avec une fourniture de 8 heures d’électricité par jours et par secteur.

L’électricité doit faire fonctionner les stations de pompage et de traitement d’eau de la Société de Distribution d’Eau en Centrafrique (SODECA). Cependant, avec ses limites, l’eau devient aussi une denrée rare et son accès reste très faible, en dépit des efforts pour la construction des forages, l’amélioration des puits et l’augmentation des capacités de cette société. Pour avoir de l’eau potable, il faut de longues queues devant les kiosques à fontaine avec tous les risques de contacts avec le Covid-19. L’eau et l’électricité sont déjà deux facteurs qui feront échouer un projet de confinement pour lutter contre le Covid-19.

Confinement et paralysie de l’éducation et de l’administration

Avec un faible taux de connectivité à Internet en Centrafrique (5,4% en 2020), l’éducation aux médias et aux nouvelles technologies de l’Information et de la Communication reste elle-aussi très limitée à une classe de privilégiés (une élite).  L’accès aux terminaux comme : ordinateurs, tablettes ou téléphones androïdes et Smartphones ne couvre pas l’ensemble de la population. Même si selon les données de l’Union Internationale des Télécommunications, le nombre d’utilisateurs des téléphones mobiles est passé à 2 060 000 soit 43% de la population et la couverture nationale en réseau est de 55%, environ 90 000 abonnés seulement sont connectés au 3G à nos jours.

Et les confessions religieuses à la traîne des TIC

Depuis longtemps, les sciences ou les TIC sont prêchées dans beaucoup d’églises et mosquées comme un « outil diabolique » qui entraîne la jeunesse vers la perdition. Ces messages ont considérablement freiné le développement de ces outils dans les milieux religieux.  Les confessions religieuses et les nouveaux moyens de communication à l’ère du confinement, une mesure imposée par le Covid-19 s’est adaptée à cet impératif dans tous les pays développés ou en voie de développement. Les outils du web 2.0 notamment les réseaux sociaux (Facebook, WhatsApp…) et toutes les applications de téléconférence permettent aujourd’hui aux fidèles de rester connectés et de pratiquer leurs religions malgré le confinement.

Les confessions religieuses en Centrafrique sont-elles préparées un jour à vivre un confinement total et plus drastique que celui imposé durant les guerres ? La réponse est non. Les guerres n’ont jamais été généralisées dans le pays. Même dans la capitale, des zones restées moins touchées continuaient à se rassembler dans les cellules, les églises et les mosquées pour prier. Mais avec cette nouvelle donne inédite que vit les croyants, le recourt aux TIC soulage de nombreux croyants à travers le monde. Mais dans le cas où le confinement s’avère indispensable en Centrafrique, chaque ménage développera alors son programme de prière et les portes des églises et mosquées resteront pendant longtemps fermées.

Même si quelques églises ont commencé à faire passer les extraits du culte en direct sur les réseaux sociaux, l’accès à Internet et/ou aux terminaux étouffera cet élan au niveau national mais pourra être bénéfique pour la diaspora toujours hyper connectée. Comme disent beaucoup de penseurs, la fin du coronavirus devrait permettre à l’humanité de revoir sa façon de vivre. Les églises qui ne disposent même pas des pages web ou réseau sociaux devraient s’adapter à l’évolution du monde.

Alors, comment faire face au Covid-19 en Centrafrique ?

Freiner le Covid-19 et sauver le peu qui reste en Centrafrique est aujourd’hui une équation à plusieurs inconnues. Dans ce pays, en plus du Covid-19, le paludisme, première cause de mortalité et de morbidité touche un million de personnes.  La période de pic palu affecte au moins 660.000 enfants. Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), chaque année, le pays enregistre environ 4000 morts dont 670 enfants pour cause de cette endémie.

Pour éviter à tout prix la propagation du Covid-19, les mesures barrières doivent être observées par la population. Cependant, le confinement total sans les mesures d’accompagnement provoquera plus de morts que Covid-19 lui-même. La stratégie de sensibilisation porte par porte adoptée à Bangui suivie des dépistages systématiques de toute la population devraient être le chemin à suivre. Car, le confinement mérite une capacité alimentaire et financière solide de la population avec un système de santé capable de prendre en charge des milliers de cas en urgence.

Nous devons aller vers l’acquisition de plus de tests, le dépistage de toute une population. Ceci semblent être difficile au regard des ressources du pays mais au contraire reste très vital pour maintenir l’économie et la survie de cette même population. Les restrictions devraient être plutôt fermes à la frontière et au moment où les échanges commerciaux se poursuivent.

Réactions de quelques internautes

Plusieurs internautes s’expriment déjà sur la question du confinement ou pas en Centrafrique.  Depuis le début de la pandémie, ce pays a enregistré 9 cas avec 4 personnes guéries et cinq encore sous traitements pour des cas moins graves. Parmi ces cas, trois personnes sont des contaminées locales et les autres patients sont des cas de contaminations importées.

Pour sa part, Fidèle Gouandjika, ministre Conseiller spécial du président de la République compare l’agglomération de la Centrafrique à celles d’Europe.  « Nous avons une chance formidable qui est celle de ne pas habiter dans des cages comme en Europe où les gens éternuent dans les couloirs, dans les ascenseurs et touchent chaque seconde la porte principale d’entrée des immeubles. En cas de confinement en Centrafrique, chaque famille reste dans sa propriété et si elle respecte strictement les directives sanitaires dictées par l’OMS et le gouvernement, le pays vaincra facilement le coronavirus avec moins de décès ».

Teddy Kossoko rejette l’idée de confinement total en justifiant par l’enclavement du pays qui se présente comme un avantage dans ce contexte. « La RCA est un pays enclavé et pauvre. Très peu de gens rentrent et sortent du pays. Il suffit de faire comme Israël. Toute personne qui veut rentrer sur le territoire est confinée pendant 14 jours, période d’incubation et testée. Si la personne ne développe pas de symptôme, alors elle peut rentrer. Cela évitera que les gens qui vivent d’une économie informelle meurent plus de faim que de coronavirus », soutient ce jeune développeur de jeux vidéo.

En effet, l’idée du confinement n’est pas encore dans l’esprit des Centrafricains, même si plusieurs personnes limitent déjà leurs mouvements et adoptent les gestes barrières.

Le Covid-19 nous révèle aujourd’hui, plus que jamais, la faiblesse de notre système de santé qui doit être totalement réformé, la faiblesse dans le développement des supermarchés de proximités et le commerce en ligne. Cette pandémie est aussi révélatrice d’une administration dépourvue d’innovation dans le domaine de télétravail ou visioconférence même pour le système éducatif. En fait, l’élément déterminant demeure l’accès à l’électricité, l’accès à l’eau potable, l’accès à l’Internet et aux moyens de moyens de communication.

La Centrafrique déjà sous perfusion résistera-t-elle à ce vent ? Le Covid-19 servira-t-il à un déclic, un changement profond de mentalité, de comportement et une vraie union sacrée contre cet ennemi commun ? Seul l’avenir nous le dira.  (Analyse protégée par un droit d’auteur).

Fridolin Ngoulou

 

RJDH